Intouchables.

Publié le 14 Novembre 2011

 

Fukushima, c'était il y a huit mois. Il n'y a pas de « retour à la 

normale » après une catastrophe nucléaire. Il y a un nouvel état du 

monde, une nouvelle géographie du ravage dont l'information régnante 

voudrait que l'on s'accommode, par la force des choses. Le spectacle des 

explosions de Fukushima offert en live streaming à la planète entière, 

les dépêches sans queue ni tête livrées d'heure en heure à l'avidité des 

peuples obéissent à la même logique qui commande aujourd'hui le plus 

complet silence sur les conséquences de la catastrophe. Qui sait que le 

Japon a mis à l'arrêt à ce jour 44 de ses réacteurs, que seuls dix 

fonctionnent encore et qu'à Tokyo on préfère désormais les coupures 

d'électricité aux merveilles de l'atome ? Qui se soucie que 90 % des 

enfants naissant actuellement dans la zone contaminée autour de 

Tchernobyl soient frappés de tares génétiques ? La vie est assez dure 

comme ça pour s'épargner d'avoir, de surcroît, conscience de son 

horreur. Les pays les plus nucléarisés sont ceux où l'on se rebelle le 

moins contre le nucléaire. Les prisonniers finissent généralement par 

aimer leur geôlier, pour peu qu'on les résigne assez à leur sort.

 

Dans l'ambiance de fin du monde, d'apocalypse symbolique, 

d'effondrement généralisé où nous baignons présentement, le nucléaire 

fonctionne comme un verrou sur la situation politique. C'est un ciel bas 

et lourd qui pèse comme un couvercle sur toute idée de bouleversement. 

Ce qui est en jeu là, ce n'est évidemment pas la révolution, tout juste 

sa possibilité. D'autant plus cette société épuise le peu de crédit 

qu'il lui reste, d'autant plus le réseau de centrales qui enserre le 

territoire nous fait l'effet d'un corset, d'une camisole. Comment un 

régime qui ne s'aventure plus à faire de promesse pour l'année suivante 

ose-t-il produire des déchets radioactifs pour encore cent mille ans ? 

Comment ignorer que la dépendance énergétique où l'on nous tient, et la 

sorte de chantage qui l'accompagne, réduisent à l'insignifiant toutes 

nos prétentions à la liberté ? Il y a quelque chose de morbide dans 

l'investissement libidinal dont l'Etat français a couvert ses centrales 

et ses bombes à neutrons. A mesure que gouvernements  étrangers et 

capitalistes éclairés font savoir l'un après l'autre leur intention de 

renoncer au nucléaire, la France préfère se dire que si elle est de plus 

en plus seule dans son impasse, c'est simplement qu'elle est la 

meilleure. Alors que l'EPR est en bonne voie pour égaler Superphénix 

dans la catégorie des folies furieuses, EDF dévoile à présent son 

intention de relancer la surgénération. C'est un spectacle atterrant 

qu'un tel déni du réel, une telle imperméabilité à l'expérience, une 

telle façon d'exposer au monde entier ses verrues comme un titre de 

gloire.

 

Trois ans se sont écoulés depuis ce 11 novembre où la Sous-Direction 

Antiterroriste a trouvé bon d'investir le village de Tarnac et quelques 

autres domiciles en France, afin d'y arrêter une dizaine de personnes. 

Renseignements pris, nous avons fini par acquérir une idée assez précise 

de l'étonnante convergence d'intérêts qui a amené à ces arrestations. On 

arrive, selon le fil que l'on tire dans cette bobine, à d'obscures 

barbouzes grenouillant dans la « sécurité », à des services secrets 

agissant « informellement » à l'échelle européenne, à des conseillers du 

prince en veine de reconnaissance, à de vieux fachos ayant accédé aux 

ministères dans le sillage de Sarkozy et jugeant que l'heure était enfin 

venue de prendre leur revanche sur les gauchistes. On y trouve aussi les 

intérêts bureaucratiques bien compris d'ex-RG mis à mal par la fusion 

avec la DST au sein de la DCRI et les éternelles ambitions 

ministérielles de Michèle Alliot-Marie. Pour faire bonne mesure, on 

n'oubliera pas le rôle joué par l'infiltré britannique Mark 

Kennedy-Stone et l'effet des habituelles rivalités dont les milieux 

radicaux sont, au même titre que n'importe quel autre milieu, le siège 

détestable. Mais si l'on s'en tient aux faits, et non à leur cause, ce 

qui a fini par nous sauter aux yeux, c'est ceci : l'affaire de Tarnac 

fut d'abord une tentative forcenée, et à ce jour réussie, pour contenir 

aux frontières l'extension du mouvement anti-nucléaire allemand. Toute 

l'opération aura consisté à travestir une action de blocage de trains 

revendiquée par un groupe anti-nucléaire allemand et exécutée par une 

méthode assez usuelle et assez sûre – les fameux « crochets » - pour 

avoir été employée jusqu'à une centaine de fois en une seule année de 

l'autre côté du Rhin sans jamais blesser quiconque, en un « acte 

terroriste » immotivé visant à faire dérailler des trains. Il aura suffi 

pour cela, d'un côté, d'occulter la revendication allemande transmise 

dès le 9 novembre 2008 par Interpol, et de l'autre de faire le plus de 

bruit possible autour de l'arrestation d'un groupe que l'on avait depuis 

longtemps dans le viseur. Comme l'assassinat de Vital Michalon lors de 

la manifestation de Malville en 1977, comme les tendons tranchés 

volontairement, l'année dernière, aux militants du Groupe d'Action 

Non-Violent Antinucléaire (GANVA) qui s'étaient enchaînés sur la route 

du train de transport de déchets ultra-radioactifs CASTOR (CAsk for 

Storage and Transport Of Radioactive material), l'affaire de Tarnac 

témoigne de la nervosité pathologique qui atteint l'Etat français dès 

que l'on touche à la question nucléaire. Il est vrai qu'il a sur ce 

point des décennies de mensonge et des milliers de morts à faire 

oublier.

 

Cette année que se prépare, pour la première fois peut-être, une 

action de masse pour bloquer à son point de départ, le 24 novembre 

prochain à Valognes (Manche), le train CASTOR, nous ne pouvons décemment 

manquer le rendez-vous. Nous devons bien cela à l'Etat français, et à 

ses nucléocrates. Et il serait malséant, après Fukushima, qu'il y ait 50 

000 Allemands pour le bloquer à son arrivée  à Gorleben, et personne 

pour l'entraver en France. Alors que huit nouveaux trains de déchets 

provenant de Hollande doivent bientôt traverser les gares de RER 

franciliennes pour rallier La Hague, nous devons donner raison au 

collectif Valognes Stop Castor (http://valognesstopcastor.noblogs.org/ 

*) : « La question des déchets constitue le maillon faible de 

l'industrie nucléaire, et l'illustration la plus frappante du scandale 

qu'elle est dans son ensemble ». C'est donc là qu'il faut l'attaquer. 

C'est là qu'il faut, à quelques milliers, lui porter un coup décisif. 

Polluer, c'est toujours s'approprier. En polluant pour les cent mille 

ans qui viennent, l'Etat nucléaire s'approprie tout futur pensable et 

toute vie possible. Nous sommes le futur. Nous sommes la vie. Nous 

arrêterons les centrales. Tous à Valognes !

 

 

Comité anti-CASTOR de Tarnac

Rédigé par Louise Mitchell

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