Premieres fausses notes.

Publié le 19 Décembre 2013

Premières fausses notes.

En 1974 paraissait un livre dont le projet ressemblait à celui dont on parle aujourd’hui. Il s’appelait de la Grève sauvage à l’autogestion généralisée et était signée Ratgeb. Cette prose situationniste avait de la gueule et envoyait tout valser, les syndicats et les patrons, les bureaucrates avec Guevara, tout y passait sauf, sauf… les ouvriers révolutionnaires authentiquement débarrassés de leur esclavage. Ce texte avait un défaut : l’ostracisme généralisé, une qualité : le sauvage. Il donnait des pistes sur les moments clés de la révolution, comment et quoi occuper, qui étriper ou épargner, que faire des usines. Bref un bréviaire enthousiasme de l’insurrection passée, celle de 68. Le texte d’Eric Hazan et de l’anonyme Kamo comporte quelques pistes mais n’apporte aucun enthousiasme. Certes on sent l’empreinte Tarnacoise, « celui qui se chauffe a intérêt à mesurer le nombre de stères qu’il a dans son garage, ou comment il faut tisser des réseaux en campagne capables d’armer théoriquement et pratiquement les luttes comme NDDL ou le Val de Susa. On tire sur les trotskistes pour rester à la mode mais c’est celle des années 70 !

Cela reste un livre peu aux faits de la réalité sociale : Vouloir que de grandes laiteries sortent des pots sans marque et sans colorants, laisse pantois. Alors que depuis des années un petit syndicat d’agriculteurs nommé la Confédération paysanne explique qu’il faut au contraire des petites fermes pour éviter la concentration, que depuis des années de vétérans du bio répètent dans le vide que les crises sanitaires seraient évitées avec de petites structures, on trouve ce genre de propos. A France Culture où Hazan était invité dans les médias prolétaires, on frémit car ce passage laitier refroidît comme à l’hiver 41. Même Noël Godin dans CQFD trouve ce livre génial. Il doit lire les livres en diagonale. Dans le Diplo, Serge Quadrupanni célèbre en voisin le livre… « Ce livre se veut d’abord une invitation à la discussion» Tant mieux me direz vous.

Autre lubie ouvriériste, bien compréhensible… : Les ouvriers du bâtiment travailleront pour loger leurs frères et sœurs…La déconnexion du monde du travail me paraît sidérante.

On peut rêver mais c’est surement le secteur dont on attendra le moins, et en raison de sa faible syndicalisation et de l’abrutissement de cette activité qui demande des heures de travail harassant, et une soumission aux ordres parfaite. Bien entendu, on préfère parler des activités de dermatologue et de libraire probablement plus proche de la vie quotidiennes des auteurs. D’ailleurs la fin est explicite, « expliquer aux dominés pourquoi ils les sont et comment en sortir, ce n’est pas notre affaire à nous. » C’est aussi se mettre hors du monde de ces dominés. Je n’ai pas cette chance.

Un sujet étonnant est celui de la décentralisation. On parle de communautés de communes et de dépossession dans ces mesures révolutionnaires. Comme pour s’ancrer dans une réalité mais qui n’est en rien une critique appuyée. Les étés creusois n’y sont pas pour rien. Et les automnes à Marinaleda. Mais Eric Hazan ne s’y est pas rendu.

Aux grands combats, on préfère les amitiés et les affinités électives du village ; les contacts dans son quartier et la lutte de proche en proche. Bref, la grève générale ne trouve plus grâce et l’on revient à un blanquisme sans la dictature du prolétariat. Ouf.

On ne saurait recommander aux auteurs la lecture de Cédric Biagini qui dans l’Emprise numérique démontre avec un argumentaire sérieux que l’internet n’est pas le moyen le plus rapide, ni le plus démocratique. Hazan et Kamo reconnaissent le coté anti démocratique de l’Internet (quiconque se sert abusivement de cet outil en a vu les limites) mais ce qui est plus amusant c’est pour lui reprocher son anonymat, « un système où l’on ne sait pas qui parle, où les opinions n’ont aucune conséquence pour celui qui les exprime… » N’est pas le cas d’un livre intitulé « L’insurrection qui vient » paru chez le seul auteur cité dans le présent livre ?

Il y a un certain nombre de propositions intéressantes mais elles ne sont pas malheureusement pas nouvelles. Pourtant, « Nous sommes surs d’être, à l’heure présente et de loin, les plus réalistes » Pas les plus modestes, on avait compris. Eric Hazan nous avait habitué à mieux.

Premières mesures révolutionnaires. Eric Hazan et Kamo. Paris. La Fabrique, 2013, 8 euros.

Rédigé par Louise Mitchell

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article